Hammam Ksana - Le destin et l'histoire (2ème partie)

          Un jour, je décidai de ramener quelques informations sur le sujet afin de tranquilliser mon ami. J’avais vaguement entendu parler d’un service appelé Calpi impliqué dans les questions d’investissement. Je commençai donc par me présenter aux services de la wilaya de Bouira et demandai après le responsable de cette structure. On m’indiqua un bureau au fond d’un couloir et j’y entrai.
          Un monsieur aux tempes grisonnantes était assis derrière un énorme bureau. A sa mine, je compris que mon arrivée le dérangeait. Sans m’inviter à m’asseoir, il me demanda ce que je voulais.
          Je fis part de mon intention de réaliser un projet dans le cadre des dispositions autorisant les investissements privés et qu’à ce titre je venais m’enquérir des conditions et de la nature des démarches nécessaires.
          Mon interlocuteur me regarda bien cette fois et voulut en savoir plus sur mon affaire. J’évoquai évidemment Hammam Ksana et l’idée d’une station thermale mais je dus m’arrêter sans donner d’autres détails car je percevais nettement des contorsions désapprobatrices sur le visage qui me faisait face.
          Avec un geste de lassitude affectée, le fonctionnaire me fit comprendre l’impossibilité de pouvoir donner suite à ma demande. Le projet dont je parlais avait déjà fait l’objet de 23 sollicitations sur lesquelles l’Administration n’avait pas encore statué pour cause d’absence du Plan d’Occupation des Sols. Dans ma naïveté, je proposai d’être le 24ème prétendant mais on me fit savoir que c’était peine perdue parce qu’on avait suffisamment de dossiers et qu’on avait décidé de clore la liste des candidats à l’investissement à Hammam Ksana.
          Je n’avais plus rien à faire ici et quittai le bureau, désabusé et me demandant quel rapport faire ce soir à Ahmed.
          Je venais de refermer la porte et de faire trois ou quatre pas vers la sortie, lorsque de derrière une porte entrebâillée, un jeune homme me fit signe de rentrer. Ce que je fis.
          Sans façon, le jeune homme qui partageait son bureau avec un autre collègue me dit savoir la réponse de son responsable que je venais de quitter. Ahuri par cette initiative, je pris la chose sous un mauvais angle et demandai quel était son rôle à lui et s’il était là pour se payer la tête des gens.
          Ce fut l’autre jeune homme qui répondit : « Excusez-nous, monsieur, mais notre intention est tout autre. Nous avons pensé bien faire parce qu’au moment où vous êtes passé, mon collègue m’a dit qu’il vous connaissait et je lui ai conseillé de vous avertir ».
          Je me retournai vers le premier jeune homme mais il ne m’inspira aucun souvenir. Je suivis quand même mon pressentiment sur la sincérité de ces messieurs et dis : « D’accord, avertissez-moi mais pour ma part, je suis presque formel : c’est la première fois que je vous vois, l’un comme l’autre ».
          Celui qui m’avait fait signe dans le couloir me dit qu’il était de Ain Bessem et qu’il m’avait vu souvent rendre visite à M. Abdelhamid qui était son voisin. Il ajouta qu’il avait beaucoup de respect pour Abdelhamid et qu’à ce titre il avait un devoir envers ses amis. Je me rappelai sur le coup de l’histoire de ce jeune garçon démuni et orphelin pour lequel Abdelhamid avait, il y’avait de cela 5 ou 6 ans, usé de ses connaissances et de son argent pour lui éviter la prison à la suite d’une faute d’adolescent.
          Enfin, les deux jeunes hommes s’accordèrent pour me dire que leur responsable était connu pour avoir souvent usé de subterfuges et découragé des investisseurs sincères. S’agissant de Hammam Ksana, ils me déclarèrent n’avoir connaissance d’aucun dossier déposé auprès de leur service.
          Je remerciai et m’en allai, confiant et serein à l’idée de ne pas faire de peine à Ahmed.
          Comme je m’y attendais, Ahmed vint s’enquérir du résultat de ma mission le soir même. Je lui donnai tous les détails de ma journée et l’informai de ma décision de retourner le lendemain auprès du même service, porteur d’une lettre d’intention.
          Le monsieur aux tempes grisonnantes me reçut avec autant d’indifférence et de froideur que la veille. J’avais également décidé d’adopter une démarche distante pour signifier mon exigence d’un traitement dans le strict respect des normes administratives.
          Je remis ma lettre et une copie pour m’accuser réception et me tint debout pendant que le préposé aux affaires de l’investissement décachetait lentement l’enveloppe et lisait son contenu. A la fin, il me la tendit en me disant que sa décision était irrévocable et que je pouvais m’en aller.
          Je m’attendais à cette réaction qui ne me surprit pas. Au bureau d’ordre, je déposai mon courrier contre accusé de réception et m’en allais.
          Je dis à Ahmed que nous allions attendre une réponse officielle qui ne devrait pas tarder. Le cas échéant, nous allions la réclamer à l’issue d’un délai de 15 jours.
          La réponse ne vint pas et Ahmed insista pour ne pas prolonger l’attente au-delà du délai convenu.
          Nous nous présentâmes à la wilaya dès 8 heures du matin. Dans le couloir où nous attendions l’arrivée du chef de service, nous le vîmes arriver avec une bonne demi-heure de retard. En le voyant de loin, Ahmed me dit qu’il connaissait bien ce monsieur pour avoir été ensemble dans la même cité universitaire.
          Notre homme passa devant nous sans le moindre regard et pénétra dans son bureau. Nous le suivîmes immédiatement et l’informions que nous étions venus pour la réponse à notre courrier. Il nous demanda de patienter encore mais que de toutes les façons, la réponse serait négative.
          Face à ce que nous considérions comme de simples manifestations de la mauvaise volonté d’un petit fonctionnaire, nous décidâmes de donner d’ores et déjà une coloration particulière à nos démarches futures qui s’annonçaient longues et ardues. Il nous fallait pour cela des éléments plus palpables qu’une simple lettre d’intention.
          Par un travail mené pendant des jours et des nuits, nous avons constitué un volumineux dossier riche de tous les éléments susceptibles d’illustrer le projet envisagé dans l’ensemble de ses dimensions. Préalablement à ce travail, nous avons convenu que pour forcer les décisions en notre faveur, il nous fallait concevoir un projet capable de se défendre de lui-même et surtout apte à s’attirer les faveurs des responsables et décideurs des plus hautes sphères. Plusieurs documents furent ainsi mis en chantiers au prix de milliers de kilomètres parcourus à la recherche de quelques détails utiles sur l’activité thermale et ses techniques modernes, l’histoire de la région, les équipements, les services liés, etc.
          Notre quête d’informations nous a menés un jour auprès du docteur Chourak repéré à travers un dépliant publicitaire pour matériel et équipement de thermalisme. Nous y découvrîmes un personnage exceptionnel qui nous reçut avec les marques d’une très grande civilité. Ses explications et surtout ses encouragements et ses conseils pour franchir les obstacles que lui-même avait bien connu nous ont été d’un précieux secours. Docteur Chourak était dentiste mais avait préféré se mettre dans une affaire de distribution d’équipements médicaux et de rééducation. Nous avons maintenu avec lui des liens assez étroits jusqu’au jour de sa disparition, emporté prématurément par une cirrhose de son foie qu’il n’a pas voulu ménager.
          Une fois élaboré, notre dossier a été soumis à l’appréciation des instances concernées dans l’attente de la réponse du Calpi qui ne venait toujours pas. Grâce aux plans présentés, aux photos de synthèse et aux nombreux textes explicatifs et d’accompagnement, nous avions réussi à donner au projet un cachet particulier et à nous démarquer franchement des conceptions et des visions ordinaires.
          Cette implication dans les profondeurs du sujet nous éclairait de plus en plus sur les difficultés et le volume des tâches à accomplir. Aux limites de nos forces mais surtout par la crainte de devoir fléchir sous le poids de ce qui nous attendait, nous évoquâmes l’éventualité de nous adjoindre une troisième personnes à nos efforts.
          Je me mis immédiatement à construire le profil de cette personne qui viendrait à notre rescousse. En réalité, je ne cernais pas à ce moment-là les critères auxquels conditionner mon choix en dehors de celui qui consistait à présenter aux attaques de nos adversaires, un partenaire auquel nous devions garder la latitude d’affecter la puissance et les qualités qui leur feraient adopter des positions de retenue et de prudence. Avec Ahmed, nous avions souvent évoqué cette vérité perçue chez bon nombre de nos décideurs pleins de suffisance, qui n’obtempéraient qu’aux sommations ordonnées et non aux sollicitations du droit et du devoir.
          Hafidh me parut être la personne indiquée pour deux raisons : son bureau d’études nous a fourni l’esquisse architecturale introduite parmi les pièces du dossier technique que nous venions de constituer. A cet effet, il avait déjà une idée du projet et pouvait aisément évaluer les charges de sa participation. Par ailleurs, Hafidh possédait les qualités qui assuraient à notre proposition les meilleures chances de le voir accepter notre offre.
          Quelques jours plus tard, Ahmed me relança sur la question du troisième partenaire et je donnai mon accord en lui demandant à qui il avait pensé. Il me répondit que Hafidh pouvait bien être cette personne et sans même le laisser continuer, je dis que pour ma part j’avais beaucoup réfléchi à la chose et que j’étais arrivé au même choix. Sans plus perdre de temps, nous décidâmes de continuer la discussion en voiture et prîmes la route de Boumerdes pour rencontrer Hafidh.
          Hafidh reçut notre proposition sans paraître étonné. Je pris néanmoins le soin de présenter la chose sous l’angle de l’aventure qui valait la peine d’être tentée même au regard de son issue incertaine.
          Je compris tout de suite que Hafidh saisissait parfaitement mon souci. Pour montrer sa pleine adhésion, il déclara son engagement à nous accompagner et nous l’assurâmes qu’en raison de ses obligations, nous n’allions solliciter ses interventions que sur les questions essentielles. Avant de nous quitter, je fis signe à Hafidh que je comptais retourner dans les jours à venir lui exposer d’autres détails de notre affaire.
          Je retournai voir Hafidh et je lui avouai mes craintes quant à l’issue des démarches que nous comptions engager. Je lui confiai également comment l’idée avait germé et pour quel motif j’y avais adhéré. Hafidh me confirma qu’il s’en était bien douté et que lui aussi avait accepté notre invitation dans le seul but de ne pas contrarier un rêve tombé à point pour occuper l’esprit d’Ahmed et l’éloigner quelque peu d’une possible déception qui n’allait pas tarder à l’envahir.
          Nous étions en 2001 et beaucoup d’espérances étaient permises. Les conditions qui avaient permis à Ahmed de tenir face aux interrogations et aux incertitudes commençaient à être réunies, aiguisant pareillement les espoirs mais aussi les craintes et l’impatience. Dans le climat de paix annoncé, le calvaire vécu par Ahmed depuis l’épreuve de l’enlèvement de son frère allait bientôt trouver un dénouement mais il était difficile d’envisager un autre scénario que celui imaginé à travers nos analyses et les nombreux indices qui militaient pour un retour de Lakhdar après la fin des hostilités.
          Avec Hafidh, il fut donc convenu de consacrer à notre aventure tous les efforts exigés par la conduite d’une véritable opération d’investissement pour laquelle les obstacles qui feraient durer la démarche seraient les bienvenus. Pour les besoins de notre stratégie, il fut également décidé de nous limiter aux démarches auprès des instances administratives pour l’obtention des agréments et des autorisations. L’éventualité de voir ces démarches aboutir et nous mettre devant des obligations plus difficiles à assumer ne constituait qu’une question de second ordre à résoudre par une formule tout aussi miraculeuse que celle qui l’aura ramenée.
          Contrairement à Ahmed dont le parcours a rarement emprunté les dédales des autorités administratives, j’étais comme Hafidh, suffisamment instruit des pratiques en cours dans le milieu. Mais par souci de convenance, nous décidâmes de montrer un optimisme et un enthousiasme d’apparence.
          Ce rôle joué par complicité nous a coûté de nombreuses rencontres et des heures de discussions consacrées aux moindres détails sur la panoplie des services, des structures à ériger, des agréments à offrir et même la nature des plats à proposer dans notre station thermale qui s’élargissait de jour en jour pour devenir le Complexe de Thermalisme et de Détente de Hammam Ksana.
          Chaque jour, lorsque je quittai Ahmed aux environs de minuit, mon esprit continuait encore sur la lancée des images dessinées par Ahmed ou élaborées pour encourager ses rêveries devenues au fil des jours, l’indice d’une véritable obsession.
          Nous avions convenu de maintenir notre projet à l’insu de tout le monde mais nos veillées tardives devaient provoquer la curiosité. Je dus très vite confier à ma femme la vérité mais elle ne me prit pas au sérieux, disant que nous venions certainement de perdre la tête tous les deux.
          J’aurais parfaitement admis son jugement quelques temps auparavant mais ce jour-là j’ai ressenti comme une impression désagréable à subir son ton ironique. Je n’acceptai pas que l’on puisse douter de mes projets et cela signifiait que ma perception sur l’affaire n’était plus celle du premier jour. Faisant fi de ma volonté, elle avait évolué par elle-même, par effet de contagion.
          Le lendemain, lors de notre rencontre devenue quotidienne, je développais devant Ahmed tout un programme et un éventail d’actions à entreprendre. Adhérant aux options exposées, Ahmed proposa d’aller sur le champ en informer Hafidh afin de prendre ses avis.
          A la fin de son travail, Hafidh avait l’habitude de passer dans l’arrière boutique d’une pharmacie où se réunissaient ses amis. C’était là que nous le trouvâmes en compagnie de Tahar le pharmacien et Hassan le notaire.
          Laissant Ahmed avec les amis de Hafidh, je sortis avec ce dernier afin de lui exposer l’objet de notre visite mais avant de commencer, je fis part du changement qui s’était opéré quant à mon appréciation du projet. Hafidh me répondit qu’en fin de compte, il valait mieux voir les choses sous cet angle et que lui aussi était parvenu à la même conclusion malgré le chemin difficile et la multitude d’obstacles à surmonter. A l’exposé des détails que nous ramenions, Hafidh me dit qu’on arrivait à point. Hassan le notaire allait tout de suite nous instruire des modalités nécessaires.
          Nous retournâmes avec un rendez-vous dans la pharmacie pour la semaine prochaine. Hassan y ramènerait les statuts de notre société que nous signerons en présence de Tahar et d’un deuxième témoin que Hafidh se chargera de ramener.
          Pour dresser les statuts de la société, Hassan avait demandé quelques papiers d’état civil et l’appellation sous laquelle nous comptions nous faire connaître.
          Au jour convenu, je proposai le nom de Faraksen et expliquai que ce terme peu courant était celui de l’adjoint de Tacfarinas et qu’il était à l’origine des déformations qui ont donné les noms de Fraksa et Ksana par lesquels on désignait le hammam et sa région. En effet, lors de notre quête d’informations sur l’histoire de la région, le gérant d’une agence de voyages à Sour El Ghozlane nous orienta chez un jeune homme appelé Hakim. Rencontré dans le café de ses parents donnant sur la place centrale de la ville, Hakim fut très aimable et montra une grande disponibilité à répondre à nos attentes. Dans une monographie écrite depuis un siècle par le maire de Sour El Ghozlane, la traduction d’une inscription latine gravée sur une pierre tombale décrivait la joie des soldats romains à la suite de la capture de Faraksen, ce berbère intrépide qui avait harcelé leur quiétude.
          Notre société était constituée. Il fallait maintenant œuvrer à lui procurer sa raison d’être par la reprise de nos actions auprès de l’administration mais nous n’avions que peu de latitude pour forcer les évènements.
          Nous avons répété notre visite à la wilaya tous les 15 jours pendant 2 mois au bout desquels nous fûmes conviés par l’inspecteur du tourisme qui ne reprit pas la contrainte des 23 dossiers mais parut vivement intéressé par notre projet que nous avons pris soins de présenter par le biais des documents élaborés aux fins des trois missions assignées : touristique, médicale et touristique.
          Notre entrevue avec l’inspecteur du tourisme nous procura une certaine satisfaction car il nous assura de sa prise en charge de notre dossier qu’il allait porter sans tarder à son ministère. En attendant, il promit de transmettre un avis favorable aux instances locales pour une mise en œuvre diligente des procédures relevant du ressort des services de la wilaya. Nous étions également conviés à lui rendre visite à chaque fois que nécessaire afin de l’informer des résultats de nos démarches.
          Quelques jours plus tard, je me présentai chez l’inspecteur du tourisme mais ressentis moins d’enthousiasme auprès de mon interlocuteur. Sur un ton des plus laborieux, il me rappela que la station de Hammam Ksana était la propriété de la commune d’El Hachimia et que son exploitation en cours avait fait l’objet d’une adjudication qui nécessitait encore 8 mois pour être consommée. Il me fit également part d’une autre difficulté. Selon lui, l’APW avait dégagé une enveloppe financière pour la restauration de la station tandis que l’adjudicataire, présenté comme médecin, devait ramener un équipement de soins sophistiqué en échange d’une concession de longue durée. Ce programme aurait reçu l’aval de monsieur le wali et il devenait délicat de le contrarier.
          Sans me laisser le temps de réagir, il me dit avoir recherché un compromis qu’il avait jugé adéquat pour lever toutes les contraintes et satisfaire toutes les parties. Selon lui, une association avec l’adjudicataire réglerait le problème, tout en emportant l’adhésion des autorités qui faciliteront les démarches.
          Pris au dépourvu, j’annonçai que la chose pouvait en effet être envisagée et m’engageai à rendre une réponse après avoir pris les avis de mes associés.
          Le soir même, je fis part à Ahmed de mon entrevue avec l’inspecteur du tourisme et nous décidâmes de consulter Hafidh.
          Hafidh prit la chose avec sérénité et ne parut pas offusqué outre mesure. Il préconisa de faire semblant d’accepter la proposition de l’inspecteur du tourisme car ce dernier ne devait constituer que le maillon inférieur d’une chaîne dont nous ne connaissions pas la tête. Par cette option, nous nous aménagerons des possibilités pour d’autres voies et d’autres actions.
          Le lendemain, je portai à l’inspecteur du tourisme notre acceptation de son idée et demandai à rencontrer notre futur associé. Au téléphone, ce dernier fut informé de la nouvelle et fixa le jour de notre prise de connaissance sous l’égide de son interlocuteur.
          La veille de ce grand jour, Ahmed avait du mal à cacher sa colère et son irritation et j’essayai de le tranquilliser en disant que nous possédions suffisamment de ressources pour enjamber cet obstacle. Pour les prochaines actions, il nous fallait néanmoins faire preuve de ténacité et de courage. Ahmed me confirma que pour cela, il était parfaitement prêt. Je lui fis part de ma stratégie à laquelle il donna un accord sans réserves.
          Hafidh était tenu par des engagements et ne pouvait pas nous accompagner. Je me rendis donc avec Ahmed à l’inspection du tourisme où nous attendait notre futur associé. Dans le bureau de l’inspecteur, un troisième homme était affalé sur un fauteuil dans une position fort éloignée des règles de la bienséance. Ses pieds allongés sous la petite table de salon ressortaient de l’autre coté sous des bottines de couleur rouge. L’inspecteur nous présenta notre futur associé et son frère qui nous gratifia d’un sourire idiot sans daigner retirer ses pieds de sous la table.
          Après une courte introduction, l’inspecteur voulut connaître notre décision à propos de la question pour laquelle nous étions réunis. Nous fîmes comprendre que nous étions favorables à son idée et qu’à cet effet, nous attendions de notre partenaire des réponses quant à son appréciation du projet envisagé par nos soins ainsi que les éventuelles remarques permettant de l’améliorer.
          L’homme qui sommeillait retira ses pieds de sous la table, releva ses genoux qu’il étreignit de ses bras et dit que ces questions ne les intéressaient pas et que nous restions tout à fait libres d’imaginer le projet à nos convenances. Il ajouta encore que lui et son frère avaient décidé de nous laisser engager les moyens dont nous seuls jugerons de l’importance. Quant à leur participation à eux, elle interviendra pour lever les obstacles innombrables et insurmontables qui ne manqueront pas de se dresser devant nous. Leurs liens avec des personnages haut placés seront utilisés à cet effet.
          Au paroxysme de la colère mais craignant surtout une intervention de Ahmed qui fulminait à son tour, je me hâtai de dire que c’était là justement l’élément essentiel qui nous manquait et qui venait à point nommé nous garantir la réussite de notre affaire. Il ne manquait plus qu’à sceller notre association par un café à prendre ensemble tout à l’heure.
          L’inspecteur du tourisme était au comble du contentement. Il exigea de payer les cafés et prédit que les instances dont il était le représentant allaient tout faire pour nous venir en aide. Sur cette aimable attention, il s’excusa de ne pouvoir rester plus longtemps et nous quitta, suivi à quelques pas de nos associés.
          Ahmed paraissait soucieux comme s’il ne parvenait pas à saisir ce qui venait de se passer. Je lui dis que l’heure de l’audace avait sonné et que nous allions immédiatement passer à une position offensive en adressant sans plus tarder au wali de Bouira, un compte-rendu de notre entrevue avec son représentant.
          Ahmed me remit une feuille de papier et un stylo et nous composâmes sur la table du café témoin de notre association, une courte lettre où nous dénonçâmes de la manière la plus catégorique, la tentative de chantage qui venait de nous être imposée. Par la même occasion, nous avions formulé une demande d’audience avec monsieur le wali.
          Moins de dix minutes après, notre requête était déposée au bureau d’ordre attenant à celui du chef de cabinet de monsieur le wali de Bouira. Notre accusé de réception en poche, nous quittâmes la ville sans chercher à spéculer sur les suites de notre initiative.
          Une semaine s’écoula dans une attente où les interrogations quant à la réaction des instances locales commencèrent à grandir et à nous occuper de jour en jour. A la fin de la deuxième semaine, nous décidâmes de réclamer une réponse mais le chef de cabinet nous informa de patienter.
          Nous attendîmes encore 15 jours mais cette fois le chef de cabinet se montra agacé en nous disant que le wali n’était pas à notre disposition. Cette remarque nous irrita et je lançai à notre interlocuteur quelques paroles qu’il reçut comme un affront à sa position et son importance.
          Désarçonnés mais nullement découragés, nous jugeâmes l’occasion venue pour porter notre affaire par devant le ministre du tourisme.
          Le soir, en rédigeant la lettre à l’attention du ministre, nous nous sommes beaucoup amusés. Notre affaire commençait à prendre une autre allure et nous allions affronter des difficultés plus palpables et des adversaires mieux identifiés.

A suivre...

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